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Addiction, toxicomanie, alcoolisme, dépendance… une question de perception

Audrey Bérubé, AQCID
18 juin 2020

« Addict », « toxicomane », « accro », « drogué »; si ces mots ont une chose en commun, c’est la réaction qu’ils provoquent : haine, incompréhension, peur, ou dégout. L’un des mots les plus utilisés pour définir la dépendance est la toxicomanie. Le terme « toxicomanie » fait référence à une manie toxique, approche référant davantage au domaine médical. Ce terme a été adopté pour la première fois en 1905. Avant l’adoption de celui-ci, les différents types de dépendances étaient décortiqués selon la substance, référant donc à différentes « manies » comme l’alcoolomanie (utilisation de l’alcool), l’opiomanie (utilisation des opioïdes), la morphinomanie (utilisation de la morphine). Le terme toxicon en grec veut dire poison et mania veut dire folie.

Plus de cent ans plus tard, la recherche et les perceptions sociales ont évolué. Nous tendons maintenant davantage vers une vision globale de la personne, et donc de la problématique de la dépendance. Toutefois, le combat n’est pas gagné. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu d’ordre lexical, mais aussi d’un enjeu psychosocial, puisque la définition d’un terme a un effet sur la compréhension d’un concept, et donc sur la façon de l’appréhender.

Il a été démontré que les attitudes négatives telles que préjugés, le manque d’empathie, ou l’incompréhension témoignée de la part des professionnels de la santé envers les personnes faisant l’usage de substances ou ayant une dépendance ont un impact direct sur leur processus de rétablissement. Ces attitudes peuvent se traduire par le fait de considérer les personnes présentant un vécu en lien avec l’usage de substances comme responsables de leur problématique, manipulatrices, violentes, ou manquant de motivation, pour n’en citer que quelques exemples1. Ce phénomène démontre l’importance d’éduquer, d’informer afin de faire tomber les préjugés et ainsi éviter la stigmatisation qui, à son tour, entraîne une honte chez les personnes présentant une dépendance et les freine à demander de l’aide.

Les avancées scientifiques et les avancées dans le domaine psychosocial ont mené à la révision du mot « toxicomanie » afin d’en cibler un plus inclusif et non péjoratif. Le concept de dépendance offre la possibilité d’inclure davantage que seulement la consommation de substances psychoactives. Le terme permet de focaliser sur un comportement plutôt que sur la personne directement, et suggère une situation plutôt qu’un trait de personnalité. L’arrivée de la révision du terme « toxicomanie » a été pressée par la découverte des différentes dépendances hors des substances psychoactives telles que la cyberdépendance (dépendance à Internet et aux nouvelles technologies), la dépendance aux jeux de hasard et d’argent, la dépendance affective, la dépendance au travail ou à la nourriture, etc. Maintenant, le terme « dépendance » est davantage utilisé pour faire référence à une conception globale de ce phénomène. Stanton Peele soutient que la dépendance n’est pas seulement physiologique, génétique ou hormonale comme le décrit l’approche médicale. Le phénomène serait également psychosocial et prendrait en compte l’individu, son environnement, le contexte social et culturel et la relation avec l’objet de la dépendance. C’est une perspective qui permet de prendre en compte le phénomène dans sa globalité et non seulement la limiter à un aspect qu’est l’utilisation de la substance psychoactive. Ainsi, des facteurs biologiques et psychologiques, mais aussi la situation sociale, les événements de vie ou le réseau de proches peuvent également jouer un rôle dans la problématique. La définition du terme « dépendance » est donc plus large et démontre une situation étant potentiellement transitoire.

De plus en plus, nous nous dirigeons vers un processus de dépathologisation de la dépendance, c’est-à-dire aller au-delà de la maladie et l’interpréter de façon plus globale2. Stanton Peele définit la dépendance comme « une manière de vivre, une façon de faire face au monde et à soi-même, un style de vie »3. Cette vision permet d’enrayer la perspective où seul l’individu est à blâmer et en perte de contrôle constante et de mettre l’accent sur un mouvement d’adaptation. Le tableau suivant permet de mettre en lumière la dichotomie entre les différentes conceptions de la dépendance.

Conception médicaleConception psychosociale
La dépendance est innéeLa dépendance est une façon de s’adapter à soi-même et au monde
Les seules solutions sont le traitement médical et les groupes de soutien comme les Alcooliques anonymesLa solution demande de prendre conscience de la problématique et de faire les actions nécessaires afin de s’en sortir (exemple : changer ses habitudes)
Une personne est dépendante ou ne l’est pas (dichotomie)Une personne est plus ou moins susceptible de développer une dépendance. L’usage de substances n’implique pas nécessairement la dépendance et se situe sur un continuum.
La dépendance est une maladie qui se manifeste en premierLa dépendance peut être favorisée par différents facteurs de risque dans la vie d’une personne
La dépendance est continue et la personne peut retomber à tout momentLa dépendance peut continuer de se développer, être diminuée ou peut être arrêtée
Une personne doit croire à une force plus grande que soi pour se rétablirLa possibilité de s’améliorer dépend du développement de son propre pouvoir d’agir
Tableau inspiré de https://id.erudit.org/iderudit/044472ar

À la lecture de ces éléments, il est plus facile de constater l’évolution du concept de la dépendance. Le modèle psychosocial prend en compte les aspects extérieurs à la personne qui peuvent venir influencer le développement d’une dépendance. Par exemple, une personne peut consommer de l’alcool afin de réduire son niveau de stress ou pour soulager le mal-être ressenti lié à la perte d’un être cher, au même titre qu’une personne peut consommer de la cocaïne pour augmenter sa productivité au travail. La dépendance n’est pas seulement le résultat des composantes de la substance, mais bien de l’effet de cette substance (diminution de l’anxiété, soulagement, augmentation de la productivité, etc.) et de son contexte de consommation.

Finalement, est-ce que le modèle médical et le modèle psychosocial sont incompatibles ? Les deux visions peuvent s’apporter l’une et l’autre. Le concept de toxicomanie a évolué au fil des années et aujourd’hui, il est davantage étudié dans sa réalité globale et prend davantage en compte la réalité des personnes présentant une dépendance. Est-ce que l’évolution du concept est terminée ? Absolument pas. Ce n’est que le début vers une plus grande ouverture encore. Cette évolution ne fait que démontrer l’importance de poursuivre l’éducation en lien avec la dépendance et l’usage de substances psychoactives, en souhaitant qu’une meilleure compréhension soit synonyme d’une plus grande acceptation.


1 Van Boeckel, L.C., Brouwers, E.P., Van Weeghel, J., & Garretsen, H.F. (2013). Stigma among health professionals towards patients with substance use disorders and its consequences for healthcare delivery : systematic review. Drug and alcohol dependence, 131(1-2), 23-25.
2 Suissa, Amnon Jacob. (2010) Du concept d’addictus au processus de dépathologisation : la richesse psychosociale du concept de dépendance selon Stanton Peele. Les nouvelles tendances de l’intervention en dépendance, volume 8, issue 2, 75-108. https://doi.org/10.7202/044472ar
3 Idem.